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Disneyland Paris : dans
les coulisses d'une usine
à rêves
Le plus grand parc d’attractions d’Europe fête ses
20 ans. Cette énorme machine, réglée au millimètre, exige de ses 14.000 salariés un engagement total.
La fièvre monte à Disneyland Paris. Le 1er avril, le plus grand parc d’attractions européen lancera les célébrations marquant le vingtième anniversaire de son inauguration à Marne-la-Vallée. Et les festivités seront, à n’en pas douter, à la hauteur de l’événement.
Loi du sourire. Pour l’heure, menuisiers, peintres et ébénistes mettent donc les bouchées doubles pour terminer les chars de la parade, les couturiers s’affairent sur les plis de la nouvelle robe de Blanche-Neige… Dans les immenses salles de répétition, des dizaines d’artistes transpirent pour enchaîner des chorégraphies inédites. Un mouvement de bras pas assez fluide, un entrechat à contretemps, Emmanuel Lenormand, le manager de parade, ne laisse rien passer. «Sourire ! Smile !» ne cesse-t-il de rappeler. Un peu plus loin, Philippe Renauld, le responsable du recrutement des danseurs, observe la scène d’un œil attentif. «Les visiteurs doivent être envahis par un véritable festival d’émotions», commente-t-il.
Bienvenue à Disneyland Paris, le pays où tous les salariés sont tenus d’incarner la magie et le rêve. Car la loi du «smile» ne se limite pas aux acteurs de la parade. Impossible de faire tourner cette énorme machine qui emploie 14 000 personnes sans des réglages au cordeau et un management à l’américaine qui ne laisse rien au hasard. Des animateurs intérimaires aux femmes de chambre en passant par les musiciens, les responsables de la maintenance ou les as du marketing, chacun fait partie intégrante du show. Car chez Mickey, on n’est pas un salarié mais un «cast member», un membre de la troupe. Le contrat impose d’ailleurs de nombreuses règles d’or : sens du spectacle, courtoisie, efficacité, sécurité. Chaque employé doit ainsi se plier au fameux «look Disney» qui proscrit moustaches, barbe, cheveux dans le cou, jupes courtes, tatouages, piercings… Des exigences édictées par le siège de la Walt Disney Company, à Los Angeles, qui avaient été très mal accueillies par les syndicats lors de la création du parc, en 1992.
50 millions de rallonge. Pour ne rien arranger, Disneyland Paris a économiquement du mal à atteindre sa vitesse de croisière. Aucun des sept PDG qui se sont succédé en vingt ans n’a réussi à trouver la formule magique permettant de trouver l’équilibre. Malgré 15 millions de visiteurs annuels et un chiffre d’affaires de près de 1,3 milliard d’euros, le parc connaît des difficultés financières persistantes. Il a encore perdu plus de 60 millions d’euros sur l’exercice 2011, clos le 30 septembre, ce qui a fait grimper son ardoise chez sa maison mère à plus de 1 milliard d’euros. Mais le climat social, lui, s’est apaisé. En 2010, les organisations syndicales se sont vu attribuer de vrais locaux. La direction américaine a même réservé deux beaux cadeaux au «resort» français pour ses 20 ans : une rallonge de crédit de 150 millions d’euros pour lui permettre de financer de nouvelles attractions ; et l’annonce, plus inattendue, d’un assouplissement du règlement interne : depuis le 3 février, les barbes bien taillées ont obtenu droit de cité au royaume enchanté.
Trente minutes d’entretien. Avec ou sans barbe, les exigences envers les cast members n’en restent pas moins élevées. Les candidats sont prévenus dès l’entretien de recrutement, qui dure trente minutes chrono et que les postulants passent toujours deux par deux. Un moyen efficace pour repérer les personnalités ayant le sens du contact et capables de travailler en équipe. Ces qualités priment sur toute autre considération d’expérience, d’âge ou de niveau d’études. Les candidats doivent cependant savoir parler le français et une bonne connaissance de l’anglais est exigée pour les futurs «guest facing», les moments où les employés se retrouvent au contact direct du public. Les postulants se voient poser des questions du type : «Aimez-vous vraiment Disney ? Montrez-nous comment vous vous adressez à un enfant !» L’an dernier, Mickey a ainsi recruté 3.000 personnes (et devrait en embaucher 4.000 cette année), dont les trois quarts sont des travailleurs saisonniers.
Opérations casting. Pour s’assurer un vivier assez large, les ressources humaines mobilisent tous les canaux classiques de recrutement : partenariats avec les agences locales de Pôle emploi, encarts dans la presse régionale et nationale, dans les magazines et sur les sites étudiants… Mais elles n’hésitent pas non plus à faire dans le spectaculaire pour créer le buzz. Comme cette opération de recrutement («casting» dans le vocabulaire maison) organisée en 2009 dans les TGV Paris-Nice et Paris-Hendaye, où des recruteurs maison, arborant un large sourire et des oreilles de Mickey, ont enchaîné les entretiens. Ou encore, en février dernier, ce bus aux couleurs de Disney, qui a traversé l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie à la recherche de nouvelles recrues. Plus de 40% de salariés du parc sont issus d’une centaine de nationalités. Une diversité bienvenue pour un parc dont la moitié des visiteurs viennent d’Angleterre ou d’Italie. En outre, en ciblant les pays frappés par le chômage comme l’Espagne ou le Portugal, Disneyland Paris s’assure un accès à un gigantesque réservoir de candidats motivés et souvent très capés. Juan Miguel, jeune diplômé en tourisme de 24 ans, a ainsi récemment quitté son Valence natal pour animer l’Orbitron, le manège de petites navettes pour enfants.
Académie Disney. Le jeune Espagnol, comme toutes les nouvelles recrues, a suivi le système d’intégration maison. Pour leur première journée, dite tradition, les cast members en herbe ont rendez-vous à la «DU», la Disney université, une véritable académie avec ses formateurs, ses salles de cours et ses murs couverts des effigies de Mickey, Donald ou Peter Pan. Responsables marketing, jongleurs, infirmiers ou électromécaniciens, tout le monde est prié de se mettre rapidement dans le bain. Pas question de saluer l’animateur d’un bonjour discret, il faut s’époumoner. On est heureux de rejoindre Disney ? On le prouve avec force gestes. On s’appelle par son prénom et on se tutoie. Le lendemain, les recrues sont embarquées pour une visite du site avec ses onze cantines disséminées sur les 5 kilomètres du périphérique qui entoure le parc, son immense entrepôt – où se déroule le rituel quotidien du «costuming» et où sont gardées plus de 3 000 tenues de scène –, sans oublier les deux petits immeubles gris des services administratifs et les terrains de basket où chacun peut venir jouer. Comme le font remarquer plusieurs salariés, la direction n’a pas hésité à nommer «Fantasia» le bâtiment des ressources humaines et «Mickey Mouse» celui de la direction générale, où se trouve notamment le bureau de «Philippe» – Philippe Gas, le PDG.
Le spectacle d’abord. Au quotidien, la mission des cast members est la suivante : primo, assurer le spectacle à la perfection ; secundo, penser rendement. «L’animateur de l’attraction «It’s a small world» sait qu’il ne doit pas séparer les familles lorsqu’il les installe dans les barques, explique Caroline Orliac, l’une des responsables de l’université Disney. Cela ralentit les flux, mais de cette façon la magie est préservée.» L’un des rôles majeurs des chefs d’équipe de proximité est de s’assurer que les troupes ont bien compris la leçon. Mario Da Silva, qui supervise l’ensemble de la maintenance technique des «animatronics» (les automates), ne se contente pas de sonder les entrailles de Buzz l’Eclair ou de surveiller la vitesse de rotation des vérins du Space Mountain. Il passe plus de temps à entraîner ses techniciens à acquérir les bons réflexes : gérer les dépannages sans gêner le public ni dévoiler la machinerie interne des attractions, limiter les arrêts de matériel…
Rendez-vous de qualité. Tous les managers, même ceux de la comptabilité et du service commercial, doivent en outre réserver un «QT» («quality time») à chaque chef d’équipe. Cet entretien hebdomadaire, sans ordre du jour particulier, est censé être l’occasion de parler librement des sujets du moment : service, sécurité, efficacité… Même les «imagineers» (créatifs) du marketing, qui définissent les grands thèmes de communication des cinq prochaines années, se font taper sur les doigts par le siège californien si leurs campagnes privilégient l’efficacité au détriment du «rêve».
En débarquant en Europe, Mickey a importé un autre principe, issu du sacro-saint rêve américain, selon lequel tout le monde peut réussir. En théorie, neuf mois d’ancienneté suffisent pour prétendre à changer de poste. Soit par candidature spontanée, soit en répondant aux annonces postées sur l’Intranet ou publiées par «Backstage», le journal interne. Prenez Mourad Adli, le patron des 58 restaurants du parc (la plus grosse division en termes de salariés avec 2 000 personnes). Cet ex-étudiant en commerce international, qui avait accompagné un copain à une séance de recrutement, a démarré à la plonge en 1992, avant de gravir un à un les échelons (service, gestion des flux…) grâce aux formateurs de terrain et aux tuteurs que Disney met au service de ses salariés. Il reconnaît cependant que son attachement à Disney et les perspectives de promotion qu’on lui soumet le retiennent davantage que sa feuille de paie.
Le Smic plus 1%. Question salaires, Disneyland Paris se révèle en effet plus pragmatique que féerique. L’entreprise s’abrite derrière la convention collective unique, celle des parcs d’attractions, qui chapeaute l’ensemble des 500 métiers qu’elle emploie. Une grille qui concerne 150 parcs en France, mais que Disney a su largement influencer : il pèse à lui seul 60% de ce secteur ! Les non-cadres (60% des effectifs) sont payés le Smic royalement augmenté de 1%. L’entreprise offre un treizième mois et met à la disposition des saisonniers non franciliens plus de 2.000 logements à loyer réduit, autour de 290 euros par mois, qu’il faut partager à deux, quatre ou six. Les cadres et les agents de maîtrise, quant à eux, sont payés la médiane des salaires observés sur le marché. Ni plus ni moins. Les premiers bénéficient d’une Opel Zafira de fonction et peuvent toucher des bonus oscillant entre 10 et 30% de leur salaire annuel, calculés en grande partie sur leur capacité à développer les compétences de leurs collaborateurs. «Tout le monde sait quelle valeur ajoutée notre marque apporte à un CV. Nous n’avons pas à offrir davantage», lâche, catégorique, Jean-Noël Thiollier, le responsable des avantages sociaux.
Fêtes sans alcool. Le «resort» a en revanche mis en place, depuis 2010, un programme de distinctions honorifiques, très américain lui aussi, destiné à récompenser les meilleurs éléments. «Une enquête mondiale au sein du personnel avait montré que les gens souffraient d’un manque de reconnaissance», explique Noël Barbier, délégué syndical CFTC. Lors des Disney Top, une statuette est remise aux cast members qui se sont montrés particulièrement brillants – s’ils ont parfaitement intégré une recrue, par exemple. Chaque membre du personnel est également invité à «citer» les collègues qu’il estime particulièrement méritants. Ceux dont les noms reviennent le plus souvent sont distingués par un Legacy Award, qui
leur est décerné au cours d’une gigantesque cérémonie sur le site. Ces grand-messes peuvent rassembler de 5.000 à 6.000 personnes jusqu’aux aurores… en toute sobriété, puisque aucune goutte d’alcool n’y est versée.
Salariés surveillés. Cette culture de l’immersion totale, où on mange, on parle, on dort et on s’amuse Disney, peut se révéler étouffante. «Vous êtes non seulement continuellement sous l’œil de vos supérieurs, mais aussi sous celui de vos collègues, qui peuvent, d’ailleurs, court-circuiter la hiérarchie pour s’entretenir directement avec les directeurs de division», raconte un ancien cadre, qui dénonce ce système de surveillance généralisée. «C’est exagéré, l’objectif de ces opérations est de repérer les plus méritants», se défend-on à la direction. Elle met en avant un taux de turnover de 12,5%, qu’elle estime honorable comparé à la moyenne des entreprises françaises (7%), si l’on tient compte du pourcentage de saisonniers. Dans les mois qui viennent, les 2.000 salariés déjà présents le jour de l’ouverture, en 1992, arboreront d’ailleurs fièrement le nouveau pin’s Mickey révélant leur ancienneté.
Il y sera gravé «20 ans». Pour Disney, cette année, c’est un nombre magique.
Francis Lecompte
sources : http://www.capital.fr/enquetes/strategie/disneyland-paris-dans-les-coulisses-d-une-usine-a-reves-707758