En lisant le journal Le Monde, j'ai trouvé cet article que j'ai trouvé tres intéressant.
Je le partage avec vous.
Le malaise grandit chez les employés de Disneyland Paris
LEMONDE.FR | 22.04.10 | 09h43 • Mis à jour le 22.04.10 | 20h18
Dans un décor de carton-pâte, Mickey salue la file d'enfants qui attendent de se faire prendre en photo devant sa maison. Soudain, à l'intérieur, le téléphone sonne. Mickey va répondre. Dehors, les haut-parleurs diffusent la prétendue conversation, en réalité une bande-son pré-enregistrée. Quelques instants plus tard, Mickey descend tout sourire les marches en plâtre en lançant de grands signes aux familles qui font la queue. Ce petit manège qui fait rire les enfants, c'est le "shift" du comédien qui se trouve sous le masque, le moment où il passe le relais à un autre acteur. Si Mickey doit répondre présent en permanence pour ses jeunes admirateurs, les comédiens, eux, ont droit à une pause bien méritée. Car derrière leurs sourires de façade, les acteurs, qui accueillent plus de 15 millions de visiteurs par an, voient leurs conditions de travail se détériorer. Le malaise grandit.
Depuis le début de l'année, le parc a connu deux suicides d'employés. Le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) a rendu, mercredi 21 avril, son rapport concernant le suicide de Rabii H., le 21 février, en gare d'Esbly (Seine-et-Marne), à son retour du travail. Une autre enquête est en cours, sur le suicide d'un chef cuisinier, le 26 mars. Le premier avait porté plainte pour harcèlement moral et avait été longuement en arrêt maladie pour dépression. Le second, avant de mettre fin à ses jours, avait laissé un message indiquant qu'il ne voulait "pas retourner chez Mickey". Un CHSCT extraordinaire est prévu vendredi 24 avril pour parler des conditions de travail.
UNE VRAIE RUCHE
En ces vacances de Pâques, les allées sont bien remplies, même si ce n'est pas encore la bousculade de l'été. L'animation phare, Space Mountain, affiche déjà plus de 50 minutes d'attente. "Quand les gens attendent trop longtemps, ils passent leurs nerfs sur nous", font remarquer des employés. Le parc est une ruche où chaque espace, en dehors des manèges, est mis à profit en abritant soit une boutique de souvenirs soit un restaurant. A intervalles réguliers, des employés sortent par de petites portes dérobées passent derrière les touristes pour nettoyer les tables qu'ils ont laissées couvertes d'emballages de fast-food. Passant inaperçu dans ce monde féérique, leur costume blanc à rayures rappelle étonnament celui des prisonniers dans les dessins animés.
"Depuis environ cinq ans, nous assistons à une dégradation des conditions de travail", fait remarquer Noël Barbier, membre de la CFTC Disney. La crise financière a vu la mise en place d'un "plan de rigueur qui ne dit pas son nom", explique le syndicaliste. Le nombre de saisonniers a été divisé par deux et le nombre d'employés (15 000 environ) n'a pas progressé, alors que le parc a établi en 2009 son record de fréquentation avec 15,4 millions de visiteurs (contre 12 millions il y a quelques années). Pour Bruno Fournet, directeur santé de Disneyland Paris, il s'agit plutôt d'un "plan de précaution pour préserver l'emploi des salariés permanents", expliquait-il mi-avril dans un reportage de Canal +.
Pour Nzale Bola-Botema, salarié syndiqué à Force ouvrière et délégué du personnel hôtelier, c'est justement sur les salariés qui sont dans l'entreprise depuis longtemps que pèsent le plus ces mesures et qui les vivent le plus mal.
Du côté des saisonniers, le passage chez Disney est vécu comme une "très bonne expérience", avance Sébastien Roffat, spécialiste des dessins animés et lui-même ancien saisonnier. Dans les parades, les Mary Poppins et autres princes charmants sont jeunes et beaux. En les approchant, "la magie de Disney" vendue dans les prospectus opère. "L'ambiance internationale, et l'atmosphère entre jeunes", fait oublier les faibles salaires, les horaires décalés et le travail le dimanche. D'autant que sur place, tout est prévu pour faire la fête. Les jeunes saisonniers, venus de toute l'Europe, se retrouvent souvent le soir dans les bars qu'ils ont eux-mêmes tenu la journée.
SALAIRE TROP BAS, ABSENCE DE PROMOTION, ACCIDENTS DU TRAVAIL
Les plus anciens, eux, ne sont pas à la fête. "On voit beaucoup de gens stressés, qui se sentent mal", confie un employé chargé du balayage du parc. Les "cast members" (grade le plus bas chez Eurodisney), qui forment le gros des troupes (13 400 salariés sur 15 000), sont rétribués sur un salaire de base égal au smic + 1 %. Le chien Pluto envoie de grands signes à la foule lors des parades et fait le pitre pour environ 1 300 euros brut par mois, sans repos ni prime le dimanche, puisque le parc est classé "zone touristique". Le tout sans possibilité d'évolution : "On ne peut pas parler de plan de carrière chez Disney", avance Noël Barbier. L'âge moyen des employés – 36 ans – limite beaucoup les départs à la retraite, ce qui libère peu de postes plus élevés dans la hiérarchie.
Une situation difficile à accepter compte tenu des sacrifices qu'imposent les impératifs d'un parc d'attractions sur la vie de famille. Dans les restaurants du complexe de loisirs, on finit souvent à 23 heures et jusqu'à 2 h 45 du matin en été. Un père de famille, en pleine instance de divorce, s'est vu attribuer un "rappel à l'ordre" pour une journée d'absence qu'il avait passée chez son psy. Il a demandé à ne plus travailler le dimanche pour pouvoir s'occuper de ses enfants, dont il a la garde. La direction ne lui a accordé cette faveur que pour un mois, le temps pour lui "de s'organiser".
Les employés font remarquer qu'ils aiment le parc. Les sourires des princesses ne sont pas de faux-semblants. Bien plus qu'au moment de son ouverture, "le parc a su montrer qu'il n'était pas le 'Tchernobyl culturel' que certains dénonçaient", remarque Sébastien Roffat, auteur du livre Disney et la France : les vingt ans d'Euro Disneyland (L'Harmattan, 2007). "Le look Disney existe, mais il est plus accepté, les gens à qui cela ne correspond pas ne viennent pas." Ceux qui s'en accommodent se disent "heureux rien qu'en voyant le regard des gamins". Mais ils en veulent à la direction pour sa gestion.
En avril, le journal de la CFTC publiait une lettre ouverte au PDG de Disneyland Paris l'exhortant à "se réveiller": "Depuis des années, les délégués du personnel, les membres du CHSCT, les représentants syndicaux se battent au quotidien pour dénoncer les pratiques honteuses et dégradantes qu'utilisent les dirigeants et l'ensemble de ceux qui ont un petit pouvoir dans cette entreprise. Les laboratoires fabricant le Prozac et le Lexomil ne sont pas prêts de faire faillite compte tenu du nombre incalculable de vos salariés qui y ont recours. (...) Ce n'est pas Disneyland que nous critiquons mais la politique que vous menez."
"ON SE SENT FLOUÉS"
La direction refuse de voir un lien entre les récents suicides et les conditions de travail dans le parc. D'ailleurs, l'enquête du CHSCT concernant le décès de Rabii H. s'attarde davantage sur les "problèmes relationnels" avec ses collègues que sur l'éventuelle responsabilité de sa hiérarchie. "Mais cette enquête ne parle même pas de la plainte que Rabii avait porté pour harcèlement moral", s'emporte David Charpentier, délégué Force ouvrière. Selon lui, cette plainte mettait en cause l'une des personnes qui a mené l'enquête du CHSCT. "Nous n'avons pas été entendus, pas plus que sa famille, alors que nous avions des éléments à apporter. On se sent floués", s'insurge-t-il. En effet, l'enquête, expédiée en deux pages, semble bien légère s'agissant du décès d'un employé.
A l'issue de la réunion du CHSCT du 21 avril, la direction de Disney estime que les éléments qui lui ont été communiqués "montrent que l'employé n'a pas fait état d'un quelconque harcèlement", que le rapport "ne remet pas en cause les conditions de travail dans l'entreprise et montrent même un accompagnement constant des salariés de sa part". Devant les critiques formulées par FO, elle affirme "renouveler sa volonté de travailler à ce propos avec les syndicats" et déplore "l'instrumentalisation faite par l'un d'eux de la mort d'un des salariés".
La médecine du travail a recensé 1 500 accidents du travail sur un an pour 15 000 salariés. "Soit un taux plus élevé que le secteur du BTP !", note-t-elle dans son rapport. Pendant ce temps, dans le parc, la Belle au bois dormant continue de signer des autographes devant les enfants ébahis.
Article de Antonin Sabot
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